Soins du corps décédé, soins de l’âme dans le judaïsme
Religion
Publié le 28 janvier 2025
Jacob Dahan
Confrontés souvent pour la première fois à la mort d’un proche, comment nos enfants et leurs parents abordent-ils les multiples et terribles questions qu’elle soulève ?
De quelle manière chaque religion aborde-t-elle la question des rituels et des soins donnés au corps du décédé comme des actes symbolisant un statut spécial pour les humains ?
Quelques éléments rituels qui entourent la mort.
Pour l’essentiel, ces rituels sont définis par la loi juive nommée halakha, codification composée par Joseph Caro et publiée pour la première fois en 1564-1565.
Cette loi est affinée par le Consistoire de France pour la mettre en conformité avec la loi de la République.
Mais ces rituels sont aussi un ensemble de pratiques tenant à l’origine de familles ashkénazes ou séfarades, voire même de coutumes locales et tenant parfois de superstitions.
Pour finir, le rituel est aussi une démarche personnelle, là où chacun en est dans son judaïsme et ce que chacun consent à faire pour se sentir en conformité pour cet accompagnement du défunt.
L’enterrement est clairement le rite funéraire promu par les textes bibliques et rabbiniques.
L’obligation de l’inhumation et l’interdit de la crémation traduit une forme de respect pour l’intégrité du corps du défunt.
Les rituels autour de la mort ont certes aussi évolué au cours des trois millénaires du judaïsme.
Je retiendrai :
la permanence de l’inhumation
Elle est attestée à plusieurs reprises dans la bible ; le patriarche Abraham (venu de Ur en Chaldée), le premier à passer une alliance avec le D’ d’Israël, fait l’acquisition de la grotte de Makhpéla pour y enterrer Sarah. C’est depuis le Tombeau des Patriarches dans la ville d’Hébron en Judée-Samarie où sont enterrés à la suite Abraham, son fils Isaac et sa femme Rebecca puis Jacob et sa femme Léa ; la deuxième femme de Jacob est enterrée dans ce qui est encore aujourd’hui le Tombeau de Rachel.
Et enfin l’enterrement de Moïse par D’ lui-même comme il est dit dans le dernier livre du Pentateuque et qui précise « que nul ne connaît encore aujourd’hui là où il fut enterré ».
D’autres tombeaux sont toujours existants aujourd’hui: le tombeau du Roi David dans la vieille ville de Jérusalem, le Tombeau des Rois qui est une propriété française près de la vieille ville de Jérusalem, etc.
la défense d’incinérer
Priver le corps de sépulture revient à priver l’âme des félicités éternelles auxquelles elle a droit et auxquelles elle aspire. Il y a un lien intrinsèque entre le corps et l’âme ; l’âme est une parcelle du divin. Le judaïsme proclame la pérennité de l’âme. Cette vérité fondamentale selon laquelle la destinée de l’homme se prolonge au-delà de son existence terrestre sous-tend, en réalité, l’ensemble de sa doctrine.
Pour ces raisons, l’incinération des cadavres a toujours inspiré à la conscience juive une profonde répulsion, et les rabbins l’ont condamnée avec une violence extrême.
Ils affirment que l’âme nécessite un processus pour se détacher de l’enveloppe corporelle. Cette foi en l’immortalité de l’âme est sans doute d’une immense complexité dans la tradition juive et peut-être encore plus aujourd’hui, annoncé comme une ère messianique.
Cette conviction est si profondément ancrée que de nombreux juifs inconnus au sein de leur communauté demandent à être enterrés suivant le rite. L’enterrement est perçu comme un engagement en vue de la résurrection, du monde à venir, le « olam haba » lié au messianisme… Ce qui explique aussi que de nombreux juifs décident de se faire enterrer en Israël.
Plus simplement une conviction profonde est au fond de chaque juif qu’il existe quelque chose après la mort.
la résurrection
Un petit détour sur la résurrection, qui apparaît assez tardivement dans la bible, en tout cas pas de façon explicite dans le Pentateuque (Ancien Testament) « Abraham rejoignit ses pères », « Jacob réunit ses pieds dans sa couche, expira et fut réuni à son peuple »
C’est malgré tout suggéré par l’interdit donné par D’ aux hébreux dans le désert : « Si quelqu’un s’adresse aux morts et aux esprits, pour se prostituer à eux, je tournerai ma face contre cet homme, je le retrancherai du milieu de son peuple ».
La résurrection est illustrée surtout par une vision du prophète Ezéchiel exilé en Babylonie avec le peuple d’Israël (6ème siècle avt JC): en abrégé « je me trouvais dans la vallée d’ossements desséchés et prophétisais sur la parole du Seigneur, je vais faire entrer en vous un esprit et vous vivrez ; je vous donnerai des nerfs, je ferais croître sur vous la chair et je vous couvrirai de peau … il y eut un bruit, il se fit un mouvement, les os s’approchèrent les uns des autres, il leur vint des nerfs, de la chair et de la peau, l’esprit entra en eux, ils reprirent vie, ils se tinrent sur leurs pieds… ces os c’est toute la Maison d’Israël, j’ouvrirai vos sépulcres, je vous ferai sortir, je vous ramènerai dans le pays d’Israël, je mettrai un esprit en vous et vous vivrez… »
Cette notion de pérennité de l’âme est dans la tradition Juive, l’espérance en la résurrection des morts à la fin des temps.
La résurrection est mentionnée dans les trois prières silencieuses quotidiennes adressées à D’ : « tu fais revivre les morts par une immense miséricorde ».
Pour finir : le refus de l’incinération, de l’euthanasie, de la non-dégradation du corps mort par don d’organes ou autopsie ; là encore la loi de la République prend le pas en cas d’ordonnance judiciaire d’autopsie, ou si vous n’avez pas expressément manifesté votre refus du don d’organes.
Comme déjà dit, l’âme nécessite un processus pour se détacher de l’enveloppe corporelle ; un processus en plusieurs étapes :
- Autour de la mort,
- Pendant les 7 premiers jours,
- Pendant les 30 jours suivants,
- Et pendant l’année suivante,
Ce processus de deuil ne concerne que le père, la mère, le frère, la sœur, le fils, la fille et le conjoint.
Toute autre personne (oncle, tante, neveu, nièce, petits-enfants, etc) ne sont pas concernés par les règles de deuil.
autour de la mort
On ne hâte pas le décès mais on ne cherche pas à prolonger l’agonie quand arrive la phase finale.
On prononce le Chéma Israël « le Seigneur est notre D’, le Seigneur est un » C’est sur ces paroles que l’âme quittera son enveloppe terrestre pour rejoindre sa source céleste. Dès que la mort est constatée est récité « barouh dayan haemet – Béni soit le juge de vérité » On ferme les yeux et la bouche du défunt, on recouvre le visage et tout le corps d’un drap afin de le soustraire au regard ; le corps est ensuite déshabillé, enveloppé d’un drap et placé à même le sol, on allume une bougie déposée près du corps, le corps est veillé par une lecture continue des psaumes.
La loi française interdit toute inhumation avant un délai de 24h (ce qui n’est pas le cas en Israël où on enterre souvent le même jour et parfois même la nuit pour la ville de Jérusalem. Si le décès a lieu à l’hôpital, il est conseillé de ramener le corps à domicile pour ce rituel énoncé. Les endeuillés ont un statut (« onen ») qui leur permet d’organiser les funérailles, mais de se contraindre à des prières et à des restrictions alimentaires, sexuelles, …
la toilette
Elle consiste en une toilette mortuaire nommée « tahara » c’est-à-dire purification.
Cette toilette au domicile, dans le local des Pompes funèbres ou dans une chambre funéraire est effectuée par la Hevra kadicha, des hommes pour un défunt homme et des femmes pour une défunte.
Elle consiste en un lavage pour retirer les fluides corporels, les éventuels tuyaux et pansements.
Vient ensuite un rituel d’ablutions en versant de l’eau à plusieurs reprises sur différentes parties du corps. Ces ablutions sont accompagnées d’une lecture de versets bibliques. Nous parlons de « tahara » c’est-à-dire purification ; le corps est préparé pour sa résurrection future.
Le corps est ensuite séché et entièrement enveloppé dans un linceul de drap blanc, sorte de pyjama d’une grande simplicité, et enserré par des liens de drap blanc. La tête est entièrement recouverte, et pour les hommes elle est enveloppée du talit, châle de prière. L’ensemble est ensuite recouvert d’un drap blanc enserré.
Le corps est ensuite déposé dans un cercueil dépouillé de toute garniture et fermé en présence de la famille et des Pompes funèbres. Le cercueil est une obligation de la loi française, en Israël le corps sera déposé dans la tombe avec le seul linceul.
La présence d’un rabbin est requise ; elle permet d’accompagner la famille proche par des paroles de réconfort, de déposer un peu de terre d’Israël dans le cercueil.
Une parole « mehila » « pardon » est prononcée à tour de rôle par les proches en signe de demande de pardon d’une offense passée, réelle, supposée ou inconsciente.
Le cercueil est ensuite scellé en présence des Pompes funèbres.
l’enterrement
Pas de passage à la synagogue.
La famille suit le convoi funéraire jusqu’au cimetière ; les amis et le public se joignent à la famille à l’entrée du cimetière par une marche derrière le convoi accompagnée de lectures de psaumes.
Le cercueil est déposé sur des trépieds, les proches qui le souhaitent prennent la parole pour exprimer leur émotion, rappeler la mémoire du disparu. Vient ensuite une oraison funèbre par le rabbin (hesped) où le parcours du défunt est rappelé en lien avec la particularité du prénom et de l’instant : la section du Pentateuque qui sera lue le Chabbat, l’éventuelle coïncidence du calendrier avec une fête juive et par ces paroles : « D’ a donné, D’ a repris ; les vivants sont appelés à mourir et les morts à vivre »
A noter qu’un cimetière juif s’appelle « beth haïm – la maison de la vie ».
Le cercueil déposé en terre, le public défile et jette une pelletée de terre. « Tu es poussière et tu retournes à la poussière (Genèse 3,19), la poussière retourne à la terre dont elle est venue, et l’esprit retourne à Dieu qui l’a donné (Ecclésiaste 12,7)
On procède à la « keria-déchirure », une entaille est faite sur la chemise des endeuillés.
Le Kaddish des endeuillés est récité en s’éloignant un peu de la tombe ; on a l’habitude d’associer cette prière en araméen à une prière des morts, ce qui n’est en rien le cas, c’est tout simplement une exaltation du nom de D’ ;
Suit une prière au mort spécifique homme ou femme où est cité le nom (hachkaba).
Il n’est pas rare d’entendre pour les personnes qui présentent leurs condoléances : « que la neshama – l’âme – du défunt vous accompagne » « qu’il prie pour vous de là où il est ».
On est bien dans ce double mouvement des vivants vers le défunt, du défunt vers les vivants.
chiva
Les endeuillés (« avel ») vont se retrouver au domicile du défunt pour une période de 7 jours appelée « chiva ». Ils sont soumis à des restrictions, assis au plus près du sol, servis pour leur repas dans cette même posture ; ils ne cuisinent pas, mangent ce qui leur est apporté par la famille et les voisins ; la toilette est réduite, interdiction de se raser, s’épiler, se couper les cheveux, sortir, aller travailler, avoir des relations conjugales, etc.
Ces restrictions sont suspendues pendant Chabbat mais reprennent aussitôt le Chabbat fini, on remet la chemise déchirée, …
Seuls les endeuillés dorment au domicile du défunt. C’est un « confinement » où on remplit la maison de la présence du défunt : on se rapproche, on crée du lien, les souvenirs se partagent, on pleure, on rit, …
A la fin des 7 jours une « séouda » ou collation est donnée au domicile en présence de tous ceux qui veulent honorer le défunt ; le lendemain la famille et la Communauté se rendent au cimetière se recueillir sur la tombe, lire des psaumes et le Kaddish
chlochim
Après cette période suivent 21 jours (pour faire en tout 28 jours « chlochim ») où ces restrictions sont allégées : on peut reprendre le travail et ses activités mais en se privant de toute festivité, d’activité de loisirs.
Pour les hommes il est recommandé d’aller à la synagogue pour réciter le kaddish, de ne pas se raser, etc.
A l’issue de cette période une cérémonie est donnée au domicile ou à la synagogue avec la lecture du psaume 119 (alpha-béta) ainsi qu’une collation. La famille se retrouve le lendemain au cimetière.
Ensuite l’ensemble des restrictions est levé pour le père, la mère, le frère, la sœur et le conjoint.
Le deuil se continue pour le fils et la fille pendant onze mois : ne pas participer à des festivités, concerts, spectacles, continuer de dire le kaddish, etc
Il va sans dire que souvent le deuil continue pour le père, la mère, le conjoint pendant ces onze mois soit par méconnaissance, soit que lever le deuil est tout simplement insupportable.
l’année « Ezguir »
L’anniversaire est célébré chaque année en fonction de la date hébraïque du décès, les proches du défunt récitent le kaddish à la synagogue, une lecture des psaumes est récitée (alpha-béta) et une collation est servie à la mémoire du défunt.
En outre, il est d’usage d’aller se recueillir sur la tombe le lendemain, de lire le kaddish et des psaumes, …
A La Rochelle :
Notre hevra kadicha, ce groupe d’hommes et de femmes chargé de la toilette rituelle se met en place depuis peu.
Jusque-là nous faisions appel aux Communautés de Bordeaux ou d’Arcachon pour l’accomplir. Face à la difficulté pour ces Communautés de réunir suffisamment de personnes, nous avons progressivement été sollicités pour compléter leur venue …
Nous avons réussi enfin à composer un groupe hommes et un groupe femmes mais la présence d’un rabbin reste toujours une exigence pour organiser les funérailles.
Ce n’est pas simple de trouver des personnes capables de cette tâche : peur de la mort, d’être soi-même entraîné dans cette disparition, d’être confronté à la détérioration très rapide du corps … Et sans doute de façon moins consciente à l’impureté du corps.
Cette impureté est longuement décrite dans la torah donnée aux hébreux dans le désert pour devenir un peuple saint. On y décrit la composition de l’eau lustrale pour se purifier, pour ceux qui ont touché un mort ; cette eau était composée des cendres d’une vache rousse, jeune et sans défaut. Et cette loi est toujours lue aujourd’hui dans nos synagogues. Il en reste quelques usages : celui de se laver les mains après avoir touché un corps mort, en sortant du cimetière et pour les « Cohen » l’interdit d’approcher un mort.
Notre mission est bien sûr, au-delà de la toilette, d’accompagner la famille, de faciliter les funérailles, au besoin de donner quelques explications sur le rituel à venir.
A La Rochelle, nous sommes confrontés à des familles souvent éloignées du judaïsme traditionnel, à des familles mixtes avec la complexité des situations, par exemple – un père juif décédé dont les enfants ne sont pas juifs – un enfant juif par la mère mais pas par le père – …
L’enterrement se fait selon le rituel décrit précédemment avec la présence d’un rabbin qui sait s’adapter à chaque famille selon ses particularités.
A ma connaissance je n’ai jamais vu pratiquer le rituel sur le « confinement des 7 jours » mais seulement la lecture du Kaddish à la synagogue, un office particulier pour les 7 jours et 30 jours, office accompagné d’une collation « séouda » à la mémoire du défunt.
Il existe deux « carrés juifs » à La rochelle : l’un à Saint Eloi, l’autre à Mireuil.
Ces carrés sont une tolérance, les cimetières sont municipaux et laïcs.
Les concessions sont de 40 ans au plus ; de plus en plus notre Communauté doit intervenir pour le renouvellement de ces concessions car on ne retrouve plus les familles. Sans intervention de notre part, les tombes sont ouvertes, les restes retrouvés déposés dans un ossuaire et c’est contraire à notre Loi juive.
Quelques sépultures sont également dispersées au cimetière de Saint Eloi (souvent pour des raisons familiales, manque de place dans le carré juif et souhait d’une proximité)
Dans notre synagogue nous avons un tableau « lumière perpétuelle » composé des noms des défunts avec des petites bougies électriques en vis-à-vis.
Ces noms sont rappelés le jour de Kippour
Pour finir sur le rapport à la mort, une vieille histoire juive :
le jeune Jacob va voir son rabbin et lui demande comment avoir une vie éternelle. – Marie-toi !! dit le rabbin – Ah répond Jacob et j’aurais la vie éternelle ? Non répond le rabbin, mais cette envie te passera !!
Enfin une note plus poétique sur l’espérance d’un monde futur : « Quand viendra l’heure où comme les épis nous serons fauchés, sachons tomber sans crainte et sans frayeur, car le champ de notre âme, fécondé par le soc de la douleur et par la rosée des pleurs, nous rendra riche d’une moisson plus précieuse que celle des champs terrestres. » ((Rabbi Renassia, cité dans Un pont vers la vie de Isaac Attali).
Mais au final et pour citer de nombreux auteurs du judaïsme : « la torah ne se préoccupe pas trop de la mort, le sens de la vie se joue maintenant »
Comme le rappelle le Rav Michel Gugenheim (Grand Rabbin de Paris) dans son étude sur « les derniers devoirs selon le Rituel Juif du deuil », la conception juive de la vie « est aussi une conception de la mort.