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Entretien avec Marta Caraion : Le tombeau de Transnistrie. Les pages oubliées de la Shoah roumaine

Histoire

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Elena Guritanu (K.Larevue)

L’Europe du XXe siècle connaît des lieux dont le nom est indissociable des atrocités qui y ont été commises. Auschwitz, Majdanek, Buchenwald, Dachau, Bergen-Belsen… Tous n’ont cependant pas une sonorité allemande ou polonaise. La trajectoire familiale, faite de survie et d’exil, que Marta Caraion retrace dans Géographie des ténèbres. Bucarest-Transnistrie-Odessa, 1941-1981, dessine une autre toponymie de l’effroi. Transformée par la Roumanie du maréchal Antonescu en laboratoire d’épuration ethnique, la Transnistrie en est le nœud le plus sombre. Un nœud que ce récit intime et brillamment documenté parvient à défaire, fil par fil, mettant à nu la mémoire longtemps occultée de la Shoah roumaine.

Déportation des Juifs de Bessarabie en Transnistrie, escortés par des soldats roumains et allemands, 1941, United States Holocaust Memorial Museum

Transnistrie. C’est un nom qui siérait bien à un pays imaginaire. À le lire, on devine la présence d’une montagne, d’une mer ou d’un fleuve, et d’un mystérieux territoire sis au-delà. Hergé aurait pu l’inventer pour de nouvelles aventures de Tintin. Sans pour autant se méprendre, car, si la Transnistrie n’est pas un état fictif stricto sensu, elle fait partie des environs 400 micronations dont le statut juridique n’est pas reconnu par les Nations Unies, aux côtés du Royaume de Redonda, de la principauté de Bérémagne ou du Zaquistan. Autoproclamée République indépendante en 1992 – après une guerre de sécession avec la Moldavie, interrompue sans traité de paix et dont le prolongement en conflit gelé éveille des tensions à chaque nouvelle crise – la Transnistrie actuelle est une région autonome moldave – sous occupation russe –, qui s’étend sur la rive droite du Dniestr jusqu’à la frontière avec l’Ukraine.

Telle que se dessine leur configuration géopolitique, des péripéties en ces lieux auraient probablement peu ravi les personnages de Hergé, aussi riches eussent-elles été en rebondissements. Mais revenons au fleuve et au territoire qu’il délimite. Car de fleuves, la Transnistrie en a connu deux. En 1941, sous le gouvernement du maréchal Ion Antonescu – dont les armées suivirent celle de la Wehrmacht –, la Roumanie appela Gouvernorat de Transnistrie la zone d’occupation militaire allant du Dniestr au Boug méridional et comprenant la ville d’Odessa, sa capitale. Reprise à l’Union soviétique lors de l’opération Barbarossa, la région d’entre ces deux fleuves est un cadeau offert à la Roumanie par Hitler, en compensation de la perte du nord de la Transylvanie au profit de la Hongrie.

Le Gouvernorat de Transnistrie resta sous administration civile roumaine jusqu’à sa réannexion par l’Union soviétique, en janvier 1944. Présage d’un territoire de non-droit, la Transnistrie n’est cependant pas formellement incorporée à la Roumanie, mais transformée, selon les vœux du maréchal Antonescu, en un dépotoir ethnique où seront déportés, entre 1941 et 1943, plus de 195 000 Juifs de Bucovine, de Bessarabie et de Roumanie, auxquels s’ajoutent environ 25 000 Roms ainsi que des déportés politiques et résistants au régime. Déportés dans des ghettos et des camps d’extermination improvisés près du Boug. Car cette « Sibérie roumaine » n’est pas seulement un lieu de bannissement et de travail forcé, mais de massacre systématique et d’anéantissement, le « tombeau de la population juive locale et de celle de Roumanie », selon les mots de Matatias Carp[1]. Au total, 380 000 à 400 000 Juifs, dont ceux de Transnistrie, y seront assassinés.

Deux fleuves. À l’ouest, le Dniestr, et son « au-delà, où l’on jette les Juifs ». À l’est, le Boug, et ses camps, où on les assassine. Entre les deux, la Transnistrie roumaine et sa capitale, Odessa, dont les habitants juifs, pères, mères, fils, filles, grands-pères, grand-mères, petites-filles et petits-fils, furent, eux aussi, déportés dans des camps d’extermination près du Boug. Parmi eux, la famille Berman : Isidor, rescapé du pogrom d’Odessa de 1905, Sprinţa – et sa sempiternelle machine à coudre, tel un précieux instrument de survie –, et leur fille Valentina. Ils sont arrivés à Odessa à l’automne 1940, de Bessarabie, ce côté est du Dniestr où ils avaient trouvé un refuge précaire en fuyant Bucarest et ses lois raciales. Tous les trois seront déportés. Isidor est fusillé au bord d’une fosse commune, au printemps 1942. Sprinţa et sa fille en réchappent, parvenant, par un subterfuge qui tient du miracle, à se sauver d’un convoi en marche vers les camps.

Marta Caraion est leur petite fille. Nous l’avons interviewée pour K.

Elena Guritanu


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