Reconnaissance d’un état palestinien : et la dhimmitude ?
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Publié le 12 novembre 2024
Dhimmi Watch
Ce texte est adapté d’une conférence d’Eric Danon, ancien ambassadeur de France, dans un colloque organisée au Sénat par le Comité Laïcité République le 7 octobre 2024[1]. La dhimmitude est l’un des aspects évoqués par le diplomate. Ce n’est pas le seul, mais c’est celui qu’on oublie le plus souvent. Ne pensez jamais que les pays arabes du pourtour méditerranéen, des pays sunnites, Algérie, Maroc… ont envie que le conflit s’arrête. Non, c’est exactement le contraire ! D’ailleurs ils n’ont jamais rien fait pour les Palestiniens eux-mêmes. Ils se sont beaucoup intéressés au conflit israélo-palestinien, mais contrairement à ce qu’on pense, pas pour qu’il s’arrête mais pour qu’il continue à bas bruit. Pourquoi ? Cela demande quand même un peu d’explications. D’abord parce que la cause palestinienne est ce qui marche le mieux en politique intérieure dans ces pays. A chaque fois qu’il y a un problème avec la population, on vous sort la cause palestinienne tout le monde repart dans le soutien au chef de l’État. C’est un truc pour tous les pays : Hassan II, le père de Mohamed VI, l’actuel roi du Maroc, disait très bien, vous trouverez cela sur Youtube,« la cause palestinienne est l’aphrodisiaque des nations arabes. Il y a là quelque chose qui relève donc d’un moteur de politique intérieure. Et si vous avez la paix, donc la fin du conflit, ce moteur-là ne fonctionne plus. » Le deuxième moteur, c’est que ces pays, au niveau des gouvernements, ne s’aiment pas beaucoup. Au niveau des peuples, il y a une arabité qui fait que tout le monde est pour les Palestiniens… Au niveau des gouvernements, c’est différent. Pensez à l’Algérie et au Maroc, ils ne s’aiment pas évidemment. Pensez à la Libye et à l’Égypte ils ne s’aiment pas évidemment. Lors de la dernière réunion de la Ligue arabe encore, il y a eu incapacité à se mettre d’accord sur une résolution en faveur de la fin du conflit…. C’est un problème, je dirais d’identité collective. Il y a 9 ou 10 ans maintenant, dans les couloirs des Nations Unies à New York … je disais [à un diplomate Algérien] que quand même, tout cela se fait sur le dos des Palestiniens, à qui… on refuse un état. C’est vous qui le refusez dans les sept tentatives qu’il y a eu, c’est vous qui avez refusé et qui avez privé les Palestiniens d’un état. Et on me répondit : « les Palestiniens sont les idiots utiles de la cohésion du monde arabe »… Troisième élément, plus psychologique : cela relève de ce qu’on appelle la dhimmitude. Dans l’Empire ottoman, tous les non-musulmans, les Chrétiens, les Juifs, avaient un statut diminué. L’idée est que, au fond le non-musulman ne peut pas faire aussi bien que le Musulman en terre d’Islam. L’idée-même que les Israéliens fassent mieux que les pays arabes, pour l’économie, pour la défense, pour la gouvernance …, c’est très compliqué à admettre dans les pays arabes. Vous auriez d’ailleurs probablement la même réaction en France si des pays d’Afrique, des anciens pays colonisés, se mettaient à faire mieux que nous : imaginez un instant ce que cela pourrait donner dans la psychologie française. Il y a un quatrième argument : l’économie. Qu’est-ce qui bloque aujourd’hui Israël pour devenir une superpuissance régionale ? Toutes les pressions, le BDS, la guerre, c’est-à-dire le conflit israélo-palestinien, tout cela empêche Israël d’être beaucoup plus fort qu’il ne l’est aujourd’hui. Là aussi un homologue égyptien me disait à Tel Aviv : « Nous n’avons aucun intérêt à ce que le conflit s’arrête, sinon Israël va devenir une vraie super-puissance et aura un boulevard pour s’allier avec l’Europe, les États-Unis, la Chine -où il veut- et nous resterions en arrière »… Aujourd’hui, si vous voulez travailler sur la paix entre Israël et les Palestiniens, vous êtes obligé de passer par des stratégies indirectes. Par exemple, ce sont les pays arabes qui, fondamentalement, ont empêché Arafat en 2000 d’accepter le plan Barak, alors qu’il aurait récupéré 97 % du territoire [visé]. Il aurait alors fallu admettre l’existence d’Israël et cela, pour eux, ce n’était pas possible. Donc que peut-on faire ? Le président m’avait demandé : « Que peut-on mettre en face de la reconnaissance par la France de l’État de Palestine ? » Ma première réponse a été : « la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël ». Mais en fait ce n’est pas de même nature ! Aujourd’hui j’aurais plutôt tendance à dire que cette reconnaissance française n’est pas possible tant que tous les pays arabes qui ne l’ont pas encore fait n’auront pas reconnu Israël. En fait, tout le monde reconnaitrait tout le monde et à partir de là, on discuterait. Mais tant que l’Algérie, la Libye, la Tunisie, le Liban, ne veulent pas reconnaître Israël, ne veulent pas établir de vraies relations avec Israël, pourquoi devrions-nous reconnaître l’état palestinien ? … Il y a de nombreux Palestiniens qui veulent vivre en paix avec Israël. Mais une partie des Palestiniens et des Arabes ne voit cette reconnaissance de la Palestine que comme une première étape pour reconquérir l’entièreté de la Palestine mandataire et donc faire disparaître Israël. Tant que ceux-là ne sont pas hors-jeu, par exemple tant qu’ils n’auront pas reconnu Israël, je ne suis pas pour la reconnaissance de la Palestine. Eric Danon, diplomate au Ministère des Affaires Etrangères et Européennes (France) Le 9 October 2011, Own work, Author: Helionature, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Amb._Eric_Danon.jpg[1] https://www.youtube.com/watch?v=O8UQ24K4fCA |