Lettre à un ami palestinien (Par David Freche – Times of Israël)

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ELNET, une ONG dédiée au renforcement des relations entre l’Europe et Israël, a convié une délégation de parlementaires, accompagnés d’écrivains, à un voyage de solidarité en Israël à l’occasion des 100 jours de l’attaque du Hamas. À la suite de sa visite, l’écrivain et chef d’entreprise David Frèche a écrit une lettre à un ami palestinien d’inspiration de la lettre à un ami allemand d’Albert Camus

Vous me disiez : « Nous sommes opprimés depuis plus de 70 ans, nous sommes le dernier peuple de cette terre encore colonisé par un état d’occident, où est la justice ? » Vous omettez systématiquement de mentionner le 7 octobre, cette date semble pour vous ne pas avoir de place dans l’Histoire. Quand je la rappelle à votre bon souvenir, vous me répondez : « Mais enfin, ne pensez-vous pas qu’une vie vaut une vie et que désormais, c’est l’état que vous défendez qui a une dette de sang envers les miens ? Si vous refusez de voir cela, c’est au choix que vous vous êtes séparé de votre humanité, ou alors que vous êtes un hypocrite ».

Humanité, avant de discuter de justice, d’histoire, de géographie, de kilomètres et de religions, c’est d’anthropologie que nous devons parler.

Cher ami, sans tenter de s’accorder sur ce qui définit l’homme et sur ce qui peut nous séparer de lui, comment pouvons-nous espérer qu’un jour nos peuples pourront retrouver le chemin de cette passion de l’homo sapiens pour l’amitié ?

Alors, disons les choses :

Le 7 octobre fut un immense charnier et une vallée de cendres à l’odeur de la mort.

Le 7 octobre fut un gouffre anthropologique, matérialisation de la volonté d’effacer, de ravager, d’humilier, de déchirer, de brûler, que seules les haines les plus profondes peuvent charrier.

Pensez-vous sincèrement qu’il y ait autre chose à voir ici, que l’on tue des enfants pour un morceau de territoire ? Ce pogrom à vocation génocidaire a été planifié et décidé par un mouvement terroriste qui est hélas aussi l’organe officiel représentant votre peuple dans la bande de Gaza. Mouvement porté, rappelons-le, au pouvoir démocratiquement dans un premier temps et sûrement le plus inquiétant, ces crimes sont encore aujourd’hui soutenus par une immense majorité de Palestiniens. Je me désole d’avoir appris là-bas, à l’extrême sud d’Israël, que nombreux furent les civils qui participèrent à ces massacres. Le 7 octobre ne fut pas un acte isolé, réalisé par des grappes de « loups solitaires » qui se seraient retrouvés à l’aube d’une journée d’automne pour participer joyeusement à cette orgie de l’horreur.

Rien ne pourra pour moi excuser ce terrorisme, et rien ne pourra excuser ceux qui excusent le terrorisme.

Mon ami, je vous le dis, le 7 octobre a déshonoré la cause palestinienne, et vous devez vous éloigner de la sagesse des lames enfoncées dans le corps des innocents. Faire tomber cette date noire dans le trou de l’oubli, c’est ôter au monde ses repères les plus indispensables. Vous rendez-vous compte de ce que serait une jurisprudence Kfar Aza : enfants tués, et rien de nouveau sous le soleil ? Non, nous ne pouvons ni vous ni moi nous résigner à une telle danse universelle de l’absurde. Pendant un temps, ce monde doit s’arrêter de tourner pour qu’il ne tombe dans l’abîme.

Ne pas voir que ce samedi noir a fracturé l’espace entre les génocidaires, ceux qui les soutiennent ou les excusent et le camp des Hommes, c’est chevaucher vers cet espace inconnu de nous où la norme est l’absurde, l’envers est l’endroit, la règle la violence, la justice le sang, la compassion les clics.

Vous ne pouvez ignorer que ce terrorisme de masse perpétré par des masses est une stratégie et que sans défense, elle recommencera. Ou pensez-vous que cela peut mener, plus proche de la paix ?

Je vous ai longuement entendu, écouté, je tente de comprendre votre tolérance à l’innommable, votre oubli de l’imprescriptible qui constituent ce dangereux relativisme postmoderne.

Je saisis que vous considérez que tous les systèmes ont failli, que c’est la force de votre ennemi qui vous maintient dans cette misère, vous refusant le très simple et très légitime droit d’être citoyen de votre état.

Permettez-moi de vous dire, qu’à aucun moment dans votre raisonnement il n’est question d’une part de votre responsabilité. Pourtant, sur un temps aussi long, je ne crois pas que votre statut devenu permanent de victimes était une fatalité, bien au contraire, il y a eu tant d’occasions manquées, tant de mauvais choix, celui de vos ancêtres qui ont préféré les Al Husseini aux Al Nusseibeh, les tractations du Mufti de Jérusalem pour obtenir l’assurance de la bouche d’Hitler qu’il y aurait aussi en Palestine une solution finale, la profonde tristesse des rues de Gaza, Hébron, de Jénine à l’annonce de la chute du IIIème Reich. Oui, tant de mauvais choix, du rejet du plan de partage au 7 octobre, en passant par la thèse universitaire de Mahmoud Abbas affirmant que les Juifs avaient collaboré à la solution finale, encore elle. Le terme même de Nakba, sans rentrer dans les toujours légitimes querelles historiques, est aussi une exonération sémantique de toute responsabilité. Votre peuple est aussi le peuple des mauvais choix qui refuse d’en accepter les conséquences ?

Encore à cette date, sous cet orage d’acier et cette odeur de chair brûlée qui ne s’efface pas, j’espère toujours. J’ai lu votre plus grand poète Mahmoud Darwich en espérant que l’étincelle du choc de deux mots qui n’auraient jamais dû se rencontrer m’apporterait une nouvelle lumière sur votre tragique d’histoire. Vous n’êtes pas obligé de génération en génération de cultiver l’espoir « tels les prisonniers, tels les chômeurs ». Vous n’avez pas à vous habituer « à tourner en rond, sans devant, sans arrière, sans nord ou sud », en ayant pour seule boussole, seule destination, la migration.

Je le crois, vous pouvez casser cette spirale de crimes de sangs ignobles, d’enfants criant leur haine, de déplacements poussiéreux. Il me semble que tous les échanges, les discussions furent finalement la même parole, l’ancestrale haine du Juif, et par elle, la haine de l’Occident.

Aidez-vous vous-même, aidez-vous à sortir de ces mythes antisémites ravageurs et de l’illusion de la fin d’Israël, acceptez cet état à côté de vous.

Je veux être clair avec vous, je crois qu’Israël a failli également, c’est certain, à assurer la sécurité des siens. Ses dirigeants ont sûrement manqué quelque grand rendez-vous avec l’Histoire, mais Israël est une démocratie, les chefs changent. Je vous dis avec la plus grande des sincérités que le peuple, dont la résilience force mon respect dans sa grande majorité, n’aspire qu’à vivre en paix à côté d’un peuple palestinien déradicalisé. La démonisation d’Israël est un service que vos soutiens vous rendent à très court terme, une petite perfusion narcissique qui légitime les moyens de la noble cause de l’indépendance et de l’émancipation, mais cette haine est aussi la mâchoire qui vous maintient dans cette condition déplorable. Insurgez-vous par exemple contre la duplicité de l’UNRWA et soyez à mes côtés pour souhaiter un changement des programmes éducatifs en Palestine.

Je n’aurais jamais rien en commun et j’espère que vous non plus, avec des hommes et des femmes en liesse, entourant et encourageant un terroriste paradant en la tirant par les cheveux, une gamine arrachée de son lit dont le pyjama porte les traces des pires sévices. Je ne crois pas au caractère immuable du mal, encore faut-il le nommer mais à la moisson de la haine. Une part de moi me dit qu’il est obscène de parler de paix, ce qui serait en fait le salaire des bouchers, mais je pense également qu’il est salutaire de rendre stérile cette terre de sang, de s’éloigner de la sagesse du fusil, d’engloutir les tunnels et de poser la première pierre du pont des ponts, cette parole d’or qui éclaire le visage de l’autre et qui laisse mêmes les ennemis sur la terre des hommes.


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