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Les secrets du silence de Pie XII pendant la Shoah Nina Valbousquet fait parler les archives

Contributions

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Par GHIS KORMAN (Times of Israël)

Le livre magistral de la chercheuse Nina Valbousquet donne à découvrir l’histoire de la Shoah à partir des archives d’Eugénio Pacelli – pape Pie XII – ouvertes il y a quatre ans et à faire la part des choses entre le procès à charge et le procès en canonisation et absolution. Alors, Pie XII, « pape d’Hitler » ou « pape des Juifs » ?

Une logique binaire qui « claque » mais dont l’historienne s’est attachée à sortir en effectuant un travail de contextualisation visant, entre autres, à évaluer ce que le Vatican était réellement en mesure de faire à cette époque, à travers ses différents vecteurs d’influence.

D’un côté, des livres accablants, de l’autre, des ouvrages apologétiques dont elle souligne la très forte sélectivité. « Un procès en canonisation de Pie XII est en cours, avec des raccourcis et des généralisations sur l’aide qui a été mise en place sur le terrain par des acteurs religieux – des Justes – et que l’on a tendance à attribuer au Pape, comme si tout découlait de lui, ce qui va à l’encontre des faits historiques et empiriques » nuance la chercheuse.

Ainsi, le 3 mars 2020, le site d’information du Saint-Siège titrait-il sur la révélation, grâce à l’ouverture des archives sur Pie XII, d’une « attention constante aux Juifs ».

A contrario, l’auteure rapporte que dans ses mémoires, le diplomate américain Harold Titmann écrivait, en 2004, que le pape avait « attendu la défaite de l’Allemagne pour attaquer les nazis en public ».

Le livre revient également sur la façon dont, quelques jours avant la capitulation allemande, l’écrivain juif soviétique Ilya Ehrenbourg dénonçait dans un hebdomadaire communiste, le silence de Pie XII face à la Shoah : « Aux jours de Babi Yar, aux jours de Majdanek, le pape se taisait ».

« Les ambivalences et les convergences entre silence, préjugés, charité et diplomatie »

En dépassant l’approche traditionnelle centrée sur la figure du pape, l’historienne apporte un éclairage nouveau sur les rouages et les facteurs de décision de l’époque. Ecrit dans une démarche micro-historique, son livre est une véritable enquête de « terrain » qui fait parler les archives et donne une voix aux différents acteurs mais aussi aux persécutés juifs et catholiques d’origine juive, anonymes dont elle reconstruit la trajectoire et restitue les appels à l’aide. Son travail met à jour les ambivalences et les convergences entre silence, préjugés, charité et diplomatie et trace les linéaments du pontificat en « clair-obscur » de celui que Léo Ferré invectivait, en 1949, dans la chanson Monsieur Tout-Blanc.

L’oiseau blessé que chaque jour

Vous consommez

Etait d’une race maudite

Monsieur Tout-Blanc

Entre nous dites

Rappelez-vous

Y’a pas longtemps

Vous vous taisiez

La chanson de Léo Ferré (1949) fut interdite par le Comité d’écoute de la radiodiffusion française.

« Membre de l’Ecole française de Rome, de 2019 à 2023, j’étais à Rome lors de l’ouverture des archives Pie XII. J’y ai évidemment vu un sujet à explorer, » explique la chercheuse dont le livre, Les âmes tièdes, Le Vatican face à la Shoah se déploie en trois parties : l’attitude du Vatican jusqu’en 1941 ; la Shoah entre 1941 et 1944 et les réponses apportées par le saint-Siège ; la sortie de guerre et la – difficile – prise de conscience de la Shoah jusqu’aux années 1950.

Si ce long cheminement n’a pas, dit-elle, vocation à épuiser les controverses ni à prendre parti dans la bataille mémorielle, il propose une approche et une compréhension plus fines du sujet.

« Il me semble que nombre de livres publiés sur la question oublient une partie du sujet : la Shoah ».

Traquer les traces du « surgissement » de la question de la Shoah au sein des archives vaticanes : tel fut le défi relevé par l’auteure, parmi plus de seize millions de feuillets. « Les onze volumes d’archives diplomatiques qui avaient été sélectionnées par des historiens jésuites commissionnés par le Vatican pour répondre aux polémiques étaient certes un outil précieux mais ils ne couvraient pas l’ensemble des archives diplomatiques du Vatican, notamment les rapports internes. L’un des objectifs de mon livre a consisté à écrire une histoire de la Shoah à partir de ces nouvelles archives. Il me semble que nombre de livres publiés sur la question oublient une partie du sujet : la Shoah…

L’aura mystérieuse des archives

Valbousquet se rappelle le « curieux frémissement » qui animait la salle des inventaires et « la course aux toutes premières révélations » en ce jour de mars 2020 où elle a franchi le seuil des archives du Vatican.

L’agitation qui régnait témoignait de l’intérêt des médias européens, américains et israéliens qui s’apprêtaient à titrer sur le silence de Pie XII durant la Shoah.

D’autant, rappelle l’auteure, que leur fermeture avait enveloppé les archives d’une aura mystérieuse amplifiée, dans les années 2000, par des livres « à la Dan Brown ».

« Ces questions ont un grand intérêt pour l’histoire publique et pour la mémoire. De plus, le mystère lié aux archives, qui tenait presque du fétichisme, avait installé une grande pression et provoqué l’attente d’un document qui allait tout expliquer. Ce que les Américains appellent un
« smoking gun »… Pour la chercheuse, il ne s’agissait pas de trouver un seul document mais une somme permettant, notamment à travers des commentaires à la marge, de comprendre les logiques internes et les processus de décision. C’est la raison pour laquelle elle a accordé une attention très soutenue aux ratures, aux retouches et aux post scriptum comme autant de témoins et d’indices, à l’instar de l’héroïne du Livre d’Hanna (Geraldine Brooks, Belfond, 2008) laquelle, pour restaurer une très ancienne Haggadah, s’attache à ne pas procéder à un « nettoyage
chimique » du livre précieux dont l’usure et les marques de détérioration reflètent le parcours malmené. « On relève parfois que des remarques antisémites notées entre parenthèses ont été occultées. C’est un point important de mon approche méthodologique qui s’intéresse aux tensions internes révélées par un document qui a pu être écrit par plusieurs conseillers de sensibilités différentes. Les ratures sont intéressantes en ce qu’elle interrogent la raison du repentir ».

L’Eglise et les Juifs : une culture d’hostilité

Restituer, dans le temps long, les relations entre l’Eglise et les Juifs ressortit à souligner l’antijudaïsme chrétien, cette culture d’hostilité pluriséculaire – « l’enseignement du mépris » selon les mots de Jules Isaac – à laquelle on doit de comprendre l’indifférence des différents acteurs du Vatican face aux persécutions juives. Une froideur dénoncée par Camus à qui Nina Valbousquet a emprunté le titre de son livre : « Notre monde n’a pas besoin d’âmes tièdes. Il a besoin de cœurs brûlants » s’enflammait l’intellectuel, interpellant l’autorité spirituelle représentée par le pape – la voix du Magistère – dans un éditorial du journal résistant Combat de 1944.

« Contextualisé, l’antijudaïsme a fait partie, à de rares exceptions près (*), du cadre mental théologique de l’Eglise et n’a pas été remis en cause par l’Eglise jusqu’à Vatican II », dit Valbousquet. Souvent minimisé, cet antijudaïsme diabolise les Juifs, peuple déicide condamné à une punition divine pour n’avoir pas reconnu le Messie en Jésus de Nazareth. « Ce thème, qui porte en lui l’idée de la perfidie juive, se décline sous plusieurs formes dans les documents internes du Vatican » ajoute la chercheuse. D’où la difficulté à reconnaître que les Juifs puissent être des victimes, sauf à décréter que leur souffrance n’est autre que la manifestation de la punition divine. Sans compter, glisse l’auteure, la forte imprégnation, chez certains administrateurs et diplomates, de préjugés relevant d’un antisémitisme moderne invoquant notamment l’influence économique des Juifs. S’y greffe le mythe du judéo-bolchévisme, amalgame lui aussi très prégnant dans l’Eglise pendant la guerre mais aussi dans l’après-guerre :
« Ce mythe explique le trope d’une ‘vengeance juive’ dont il se disait, après-guerre, qu’elle était en train de s’opérer dans les pays d’Europe de l’Est », explique Nina Valbousquet.

Quant à l’argument du silence comme « moindre mal » face aux représailles allemandes qui auraient pu retomber sur les victimes (explicité par le pape lui-même dans ses discours d’après-guerre pour justifier sa position, de manière rétrospective), il interroge, écrit l’auteure : « À partir de 1942-43, le sort des persécutés juifs pouvait-il vraiment être pire ? ».

Le pogrom de Kielce, perpétré en 1946, incita Jacques Maritain, l’ambassadeur français près le Saint-Siège, à solliciter une audience auprès du pape pour le convaincre – vainement – de publier une condamnation solennelle de l’antisémitisme. « Maritain comprenait cette position du silence comme moindre mal mais le nazisme ayant été vaincu, cette crainte ne tenait plus et selon lui, le moment était venu de dénoncer cet antisémitisme. Il avait été scandalisé par le pogrom de Kielce, en
Pologne », explique Nina Valbousquet dont le livre détaille les raisons du refus du Vatican, connues grâce à un rapport interne mis au jour par l’ouverture des archives.

Force est de constater que les raisons, largement développées dans le livre, n’ont pas manqué d’être invoquées pour tenter de justifier les réticences de l’Eglise à condamner l’antisémitisme, même après la Shoah, fût-ce à l’encontre des Juifs convertis au catholicisme (les « catholiques non aryens » selon l’appellation que l’Eglise avait trouvée pour les désigner).

Le trope de la perfidie juive

Le christianisme considérant la dispersion et la diaspora comme la manifestation du châtiment divin, on ne s’étonne pas davantage de relever l’antisionisme du Vatican de l’époque (La reconnaissance de l’Etat d’Israël par le Vatican n’étant advenue que fin 1993). Le livre fait état de jugements très négatifs de la part d’administrateurs du Vatican, notamment après 1946, à l’encontre de rescapés de la Shoah tentant d’embarquer depuis l’Italie vers la Palestine mandataire. Cette matrice d’antijudaïsme chrétien laisse également apparaître une forme de scepticisme vis-à-vis des sources juives, considérées comme indignes de confiance. Le trope de la perfidie juive n’est jamais très loin. Pour preuve l’existence, citée dans le livre, d’un rapport interne et inédit signé du prélat Angelo Dell’Acqua, « expert » dédié aux affaires juives faisant état de « l’exagération des Juifs » et du manque de fiabilité des « Orientaux »…

Si l’auteure met en lumière le poids de l’antijudaïsme/antisémitisme sur les prises de décisions portant sur l’aide à apporter aux persécutés juifs, elle souligne également la défense du principe d’absolue neutralité et d’impartialité de la diplomatie vaticane et sa crainte d’une instrumentalisation, par les Alliés, des propos du pape. « Il s’agit surtout des Anglo-Américains dont on craignait qu’une déclaration pontificale dénonçant la Shoah leur donne l’occasion de déclarer, en pleine guerre : vous voyez, le pape est de notre côté », explique Nina Valbousquet qui rappelle que le Vatican avait attendu décembre 1944 (discours du pape) pour se rallier à la cause des Alliés.

« En 1997, une importante délégation des évêques français a fait une déclaration de repentance sur la collaboration de l’Eglise avec Vichy et ses silences face aux persécutions des Juifs ».

Avant ce tournant, il s’agissait, pour le Vatican, non seulement de ne pas rompre les relations diplomatiques avec l’Allemagne nazie mais aussi de défendre jalousement les prérogatives et les intérêts ecclésiastiques. Extra Ecclesiam, nulla salus. Autrement dit, « En dehors de l’Eglise, point de salut », selon la maxime du Père de l’Eglise Origène (IIe-IIIe siècle) qui a sensiblement imprégné l’action du Vatican face aux persécutions antisémites, de la fin des années 30 jusqu’à la Shoah en déterminant les limites de son intervention. « Cette vision étroite de la mission de l’Eglise a été dénoncée en 1997 à Drancy par une importante délégation des évêques français qui a fait une déclaration de repentance sur la collaboration de l’Eglise avec Vichy et ses silences face aux persécutions des Juifs », dit l’historienne qui rapporte ce discours des évêques de France dans son livre.

Quelques rapports internes, consultés par la chercheuse, affirment par ailleurs que la justice des alliés anglo-américaine comporte en son sein de nombreux juifs suspectés d’être présents pour se venger. De nouveau, le trope de la vengeance juive…

« Les rapports des aumôniers, envoyés au Vatican, rendaient compte des fusillades en masse d’hommes, de femmes et d’enfants juifs »

Mais que savait vraiment le Vatican ?

Dès l’automne 1941, le Saint-Siège a eu connaissance d’éléments lui permettant de mesurer la première phase de la Shoah : l’extermination des Juifs en territoire soviétique. « Les archives ont confirmé que les rapports des aumôniers, envoyés au Vatican, rendaient compte des fusillades en masse d’hommes, de femmes et d’enfants juifs » indique Nina Valbousquet dont le livre évoque trois photos « très fortes » (insérées dans le livre) transmises en avril 1943 par un réfugié juif polonais. « Ces photos, qui portent sur la phase ultime de la Shoah en territoire soviétique envahi par l’Allemagne, sont bien dans les archives du Vatican, mais on ne sait pas si elles ont vraiment été envoyées au Vatican. Ce qui est marquant, c’est qu’elles n’ont eu aucun impact ».

« Les silences du pape ne signifient pas pour autant que le Vatican est resté inactif »

« Les silences du pape ne signifient pas pour autant que le Vatican est resté inactif, au contraire », nuance Valbousquet dont l’ouvrage évoque deux sortes d’aide : d’abord l’aide apportée aux Juifs convertis et familles mixtes judéo-catholiques. « Il faut garder en tête que le Vatican intervient pour défendre ses prérogatives dans son domaine de juridiction, à savoir ses fidèles. Ce qui importe, pour le Vatican, est lié au sort des convertis qui, à partir du moment où ils ont été baptisés, sont entrés dans le domaine de protection de l’Eglise. Il faut savoir que quand le terme « Juifs » apparaît dans les archives vaticanes, il s’agit souvent de Juifs convertis, que ce soit sous la pression des persécutions ou depuis de nombreuses années. Des aides plus ponctuelles, au cas par cas, ont été apportées pour des Juifs en religion. Mais pour ceux-là, le Vatican n’a pas pris d’initiatives. Pas plus qu’il n’a condamné la rafle du ghetto de Rome d’octobre 1943. Reste que des instituts religieux romains ont spontanément ouvert leurs portes aux Juifs persécutés. Parfois pour une seule journée car les risques étaient grands. Les réfugiés juifs qui ont été introduits au Vatican l’ont été le plus souvent par du personnel. Cette présence à l’intérieur de Saint-Pierre a suscité une enquête interne que j’ai examinée en détail car elle nous renseigne sur le profil et les motivations des personnes qui ont aidé à introduire ces Juifs, souvent dans une perspective conversioniste ».

Mention est faite, dans le livre, d’un afflux d’appels à l’aide de la part de Juifs. Isaac Herzog, grand rabbin de Jérusalem avait lui-même rendu visite au délégué apostolique en Palestine pour transmettre au pape plusieurs suppliques, entre l’été 1942 et 1943 : « Au nom de Dieu, au nom de l’humanité, je vous implore, faites tout le possible ! Sauvez ! » concluait-il dans l’une des lettres que l’auteure considère comme la plus émouvante, envoyée en novembre 1942.

Le mot qui prévaut, à la lecture du livre, est celui d’ambivalence. Ne tient-elle pas à cette image de pape protecteur de la population romaine, y compris de ses Juifs ? Des pages rapportent les nombreux remerciements de survivants juifs adressés personnellement au pape. « Il faut y voir, là encore, la logique selon laquelle toute action revient au pape. Les témoignages de gratitude des Juifs s’adressent à celui ou ceux qui les ont sauvés – des religieux catholiques qui ont agi, de leur propre initiative, sur leur terrain – et donc, par extension, au Vatican », commente la chercheuse.

Après guerre, les témoignages de reconnaissance s’expliquent avant tout par une approche diplomatique

Après guerre, les témoignages de reconnaissance s’expliquent avant tout par une approche diplomatique. Ainsi, quand le rabbin André Zaoui, aumônier du corps expéditionnaire français, rendit « grâce à l’Eternel de [lui] avoir accordé de voir ce jour où [il] put dire au Chef de l’Eglise les sentiments de profonde reconnaissance et de très respectueuse admiration… ». Ou, lors du décès de Pie XII en 1958, quand la ministre des Affaires étrangères Golda Meir salua publiquement le rôle du pape : « Quand le martyre le plus épouvantable a frappé notre peuple, (…) la voix du souverain pontife s’est élevée en faveur des victimes ».

« Ces remerciements », tranche l’historienne, « n’ont pas valeur de preuves historiques. Ils témoignent du prestige qu’avait le pape en tant qu’autorité morale. Et de ce que l’on en attendait à cette époque… »

S’est posée, après-guerre, la délicate question du retour des enfants juifs dont le livre rappelle que plus d’un million ont été assassinés durant la Shoah. Il s’agissait, pour les organisations juives, de retrouver les survivants mais « aussi de conjurer la peur d’une nouvelle affaire Mortara ».

Les remerciements représentaient également un biais pour demander au Vatican de restituer les enfants à la communauté juive. Certains, convertis durant la guerre, étaient considérés comme faisant partie de l’Eglise catholique. Et il y a eu des cas, comme celui des Finaly, d’enfants baptisés après-guerre ».

Surgit alors le trope de « l’ingratitude juive » dont Nina Valbousquet nous explique qu’elle l’a retrouvé dans plusieurs documents du Vatican. « Il y a toujours l’idée que les Juifs ne le méritent pas mais que l’on va quand même les aider : une posture qui, du côté du Vatican, tend à démontrer que la magnificence du pape et la charité pontificale n’en sont que plus grandes ».

« Golda Meir n’a eu d’autre choix que celui d’un affrontement scénographié avec Paul VI », écrit l’éditorialiste Michaël Darmon dans ce récit fascinant retraçant les enjeux diplomatiques et mémoriels.

S’agissant d’universelle charité, le livre consacre des pages très instructives aux réseaux d’exfiltration à Rome et d’appels, au sein de la diplomatie vaticane, à la clémence envers d’anciens nazis allemands et autrichiens, fascistes italiens, nationalistes d’Europe centrale et orientale, collaborateurs et miliciens français. Nina Valbousquet commente : « C’est en grande partie la hiérarchie catholique allemande qui prend l’initiative de faire cette campagne d’appel à la clémence vis-à-vis des bourreaux nazis, relayée et soutenue par le Vatican. Le pape s’est très clairement exprimé contre l’idée d’une faute collective de l’Allemagne et d’une punition contre l’Allemagne. Il ne faut pas oublier qu’il était marqué par son expérience diplomatique dans ce pays qu’il connaissait bien et avec lequel il avait des liens forts. Il y avait aussi l’idée qu’une Allemagne affaiblie dans l’après-guerre est une Allemagne incapable de combattre l’Union Soviétique » explique-t-elle.

Ouverts en 2020, les fonds des archives Pie XII rendent indéniable le fait que le Vatican a délibérément gardé le silence durant la guerre mais aussi après 1945. Cette posture s’explique par une conjonction de plusieurs facteurs rigoureusement détaillés dans le livre de Nina Valbousquet, actuellement chercheuse invitée à Yad Vashem. « Il y a aujourd’hui un certain consensus sur l’attitude du Vatican, entre un silence public indéniable et une aide, réelle et ambivalente » explique la chercheuse, consciente de la responsabilité historique engagée par ce sujet.

« Je travaille depuis longtemps sur les archives du Vatican, je connais bien les archivistes qui font preuve d’une grande ouverture et d’une grande transparence scientifiques, et je tiens à saluer leur professionnalisme » ajoute-t-elle.

Le livre, qui traite d’un sujet délicat et controversé, lui a-t-il valu des commentaires négatifs ? « Je n’ai, pour l’instant, obtenu que des réactions positives. Le fait de sortir de la logique de personnalisation extrême permet de s’ouvrir à une réalité plus complexe, même si j’ai reçu quelques mails déplaisants. Mais cela fait longtemps que j’en reçois ».

Elle confirme que la photographie choisie pour la couverture, qui montre Pie XII de dos, relève de cette démarche visant à aller au-delà de la figure du pape en faisant état de la pluralité des voix « tout en n’oubliant pas que la figure papale est au cœur des polémiques ». Quant à savoir si le pape François – à qui l’on doit l’ouverture des archives Pie XII – l’a lue, elle imagine qu’il n’en a sans doute pas eu le temps, mais elle se félicite que son ouvrage figure en bonne place sur le présentoir des archives vaticanes…

Enfin, sans doute convient-il de souligner, pour conclure, combien ce livre permet de mesurer « le chemin parcouru par l’Eglise depuis 1965 et la déclaration Nostra Aetate condamnant l’antisémitisme », pour reprendre les mots du grand rabbin de France Haïm Korsia (Le Point, 16 mai 2024).


(*) Dans un paragraphe intitulé « Le père Marie-Benoît dans la ligne de mire », l’auteure met notamment en lumière l’action du père Marie-Benoît de Bourg-d’Iré, un capucin français qui œuvra à Rome pour protéger le maximum de Juifs de manière clandestine en fabriquant des faux-papiers. Connu, après-guerre, comme le « père des Juifs », il fut l’un des premiers religieux à obtenir le titre de « Juste parmi les nations ».

Le livre mentionne également les deux lettres pastorales d’août 1942 rompant le silence, à lire en chaire, signées respectivement du cardinal Saliège, archevêque de Toulouse et de Mgr Pierre-Marie Théas, évêque de Montauban.


Nina Valbousquet, Les âmes tièdes. Le Vatican face à la Shoah, Ed La Découverte, 480 p, 26 €


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