La terrible histoire des enfants juifs d’Izieu (Par Hugues Maillot – Le Figaro)
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Publié le 8 avril 2024
Au même titre que le Vélodrome d’Hiver et le camp de Gurs, l’ancienne colonie d’Izieu, où ont été raflés 44 enfants juifs, est devenue un lieu de commémoration national. Emmanuel Macron y est attendu ce dimanche, pour les 80 ans de la tragédie.
Par décret du 3 février 1993, la Maison d’Izieu (Ain) est, avec le Vélodrome d’Hiver et le camp d’internement de Gurs, l’un des trois lieux de mémoire des crimes antisémites commis avec la complicité du régime de Vichy entre 1940 et 1944. Ce dimanche 7 avril, Emmanuel Macron est attendu sur le lieu de cette ancienne colonie, depuis laquelle 44 enfants juifs ainsi que leurs sept éducateurs ont été déportés à Auschwitz le 6 avril 1944. Le chef de l’État présidera la grande commémoration prévue pour les 80 ans de la tragédie.
Aux confins de l’Ain, loin des grands axes routiers et du vacarme de la ville, Izieu est un petit village tranquille, qui jouit d’un beau panorama sur la Chartreuse et le nord du Vercors. En 1942, cette partie de la France, pourtant en zone libre, est envahie par l’armée allemande, en réaction au débarquement allié en Afrique du Nord. Les huit départements situés sur la rive gauche du Rhône, de la Haute-Savoie à la Corse, sont occupés par les autorités fascistes italiennes, qui appliquent une politique de bienveillance à l’égard des juifs – la poche d’occupation italienne a été un lieu d’accueil privilégié pour les juifs pourchassés par les nazis, mais tolérés par les Italiens.
C’est donc ici qu’au printemps 1943, Sabine et Miron Zlatin, avec l’aide du préfet de l’Hérault et du sous-préfet de Belley, décident de s’installer avec quelques enfants, dans une grande maison du hameau de Lélinaz. Véritable havre de paix, ce lieu semble à ce moment bien loin des conflits et des persécutions. Les enfants juifs s’y sentent en sécurité, les rapports avec les voisins sont excellents.
6 avril 1944 : la rafle
Tout va changer le 8 septembre 1943, quand l’Italie capitule et que l’armée allemande décide d’occuper aussitôt les départements dont ils avaient la charge. Les persécutions antisémites et les rafles se multiplient soudainement et Sabine Zlatin prend conscience du risque pour les enfants hébergés. Dans la nuit du 22 au 23 mars, la menace se précise : la Gestapo rafle les enfants juifs d’une commune voisine. Le 2 avril, l’épouse Zlatin part à Montpellier pour trouver des refuges pour les enfants. Le 6 avril, elle reçoit un télégramme du secrétariat de la souspréfecture de Belley : «Famille malade – maladie contagieuse». En ce premier jour printanier des vacances de Pâques, deux camions de soldats de la Wehrmacht font irruption devant la maison, accompagnés d’une voiture de la Gestapo de Lyon.
Il est trop tard pour fuir : les soldats nazis font irruption dans le bâtiment et embarquent sans ménagement les 45 enfants, âgés de cinq à 17 ans, qui s’apprêtent à prendre leur petit-déjeuner, ainsi que leurs sept éducateurs, dont Miron Zlatin. Seul l’un d’entre eux, Léon Reifman, parviendra à s’échapper en sautant par la fenêtre et en se réfugiant chez les fermiers voisins.
Le soir du 6 avril 1944, à 20h10, l’officier de police SS Klaus Barbie envoie un télex à Paris, à l’attention des affaires juives de la Gestapo, pour signaler la rafle. Au procès de ce dernier, le 27 mai 1987, un jeune garçon de ferme qui avait assisté à la rafle, a assuré avoir vu celui que l’on surnommait «le boucher de Lyon» sur place. Mais rien depuis n’a confirmé sa présence ce jour-là. Par la suite, Miron Zlatin et deux adolescents seront fusillés en Estonie. 42 enfants et cinq adultes seront également assassinés au camp d’Auschwitz-Birkenau. Léa Feldblum, une éducatrice, est la seule survivante.
7 avril 1946 : après le deuil, la mémoire
Si Emmanuel Macron se rend ce dimanche à Izieu, ce n’est pas uniquement pour commémorer ce jour funeste. Le président pourra également célébrer la première journée du souvenir, le 7 avril 1946. Quelques semaines seulement après la rafle, Sabine Zlatin est en effet revenue à Izieu. Elle y découvre la colonie mise à sac mais prend le soin de sauvegarder des lettres et dessins des enfants, ainsi que d’autres documents, qui constituent aujourd’hui les archives de la maison. Un premier acte de mémoire et d’histoire. En juillet 1945, elle écrit au préfet de l’Ain pour demander l’autorisation d’apposer une plaque sur les murs de la colonie, en souvenir des enfants. Quelques mois plus tard, le 7 avril 1946, une importante cérémonie est organisée avec le soutien des populations et autorités locales. Ce jour-là, plus de 3000 personnes se réunissent autour de Laurent Casanova, ministre des Anciens combattants de l’époque, et des familles des victimes. Un monument est érigé le même jour à Brégnier-Cordon, village voisin d’Izieu. Cette première cérémonie inscrit le souvenir de la rafle dans les lieux, mais aussi dans le temps.
Aujourd’hui encore, les populations et autorités locales commémorent régulièrement la rafle du 6 avril 1944. La colonie est devenue un lieu de mémoire, incarné par l’association du «Musée-Mémorial des enfants d’Izieu», constituée en mars 1988 autour de Sabine Zlatin. Depuis le décret du président de la République du 3 février 1993, la Maison d’Izieu est, avec l’ancien vélodrome d’Hiver et l’ancien camp d’internement de Gurs, l’un des trois lieux de la mémoire nationale des victimes des persécutions racistes et antisémites ainsi que des crimes contre l’humanité commis avec la complicité de Vichy. Inauguré le 24 avril 1994 par François Mitterrand, le mémorial est protégé et inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis 1991. En 2015, un bâtiment Sabine et Miron Zlatin est inauguré à la Maison d’Izieu. Par la même occasion, l’exposition permanente baptisée «Une grande et émouvante journée du souvenir» est repensée et les supports numérisés et modernisés.
Pour Dominique Vidaud, directeur du mémorial : «Il s’agit de réactiver et de partager cette mémoire dans tout le territoire, de la région et au niveau national afin que les jeunes générations soient fières de ce qui a été accompli par leurs aïeux lors de cette journée du souvenir du 7 avril 1946. C’est une page d’histoire méconnue et lumineuse qui permet de regarder le passé en face tout en gardant espoir en l’avenir».