Hanukka ou le dilemme de Rabba (par Rivon KRYGIER)

Contributions

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Une des découvertes stupéfiantes, quand on fait connaissance avec la littérature talmudique, est que l’on y discute de tout et de rien ! Par « rien », il faut entendre non pas le néant, évidemment, mais tout ce qui, de prime abord, nous semble insignifiant. Eh bien, justement, le Talmud nous apprend qu’il n’y a pas que « le diable qui se cache dans les détails» mais Dieu également… et de grandes valeurs. Les petits gestes de la vie reflètent notre monde intérieur. Je vous invite donc à prendre votre loupe, et à vous poser les infimes questions que soulève un curieux passage talmudique sur l’ordre des priorités. Entre les deux actes symboliques, si vous étiez contraints à opter pour l’un aux dépens de l’autre, par manque de ressources, que choisiriez-vous à la place de Rabba (maître babylonien du 4e siècle)? N’adoptez pas trop vite ses réponses ou mon interprétation. Je vous invite à réfléchir, argumenter et décider !

Rabba enseigne : Il est clair pour moi qu’à choisir entre pouvoir allumer la lampe de la maison ou celle de Hanoucca, celle de la maison a priorité, en raison de la paix du foyer ; à choisir entre la lampe de la maison ou le vin pour le Kiddouch, la lampe a encore priorité, en raison de la paix du foyer. Mais entre la lampe de Hanoucca ou le Kiddouch, quelle est la priorité ? Le Kiddouch, parce qu’il est plus régulier, ou la lampe de Hanoucca, en raison de la célébration du miracle ? Après s’être longuement interrogé, Rabba a répondu: la lampe de Hanoucca a priorité (TB, Chabbat 23b).

Hanoucca consacre la victoire éclatante des Judéens (en -164) contre l’occupant gréco-syrien qui voulait helléniser la Judée, et la fondre dans le décor des antiques cités. L’événement libérateur est bien plus palpitant que le quotidien. La lumière des bougies qui célèbre ce miracle est plus flamboyante que celle que produit, chaque nuit, la lampe du foyer, ou même, de semaine en semaine, celle du Chabbat. Pour autant, pour Rabba, « il n’y a pas photo ». La lumière du foyer lutte contre l’anxiété, permet de s’identifier, de respecter l’espace que chacun occupe, de s’apprécier. La lumière intérieure qui assure au quotidien la paix, la sérénité – et, à plus forte raison, celle du Chabbat qui ajoute la sacralité – a donc priorité sur une lumière tournée vers l’extérieur, fùt-elle éblouissante, pour aller briller ailleurs. L’être prime sur le paraître. La constance passe avant l’efflorescence sublime mais éphémère. La lumière du foyer a même préséance sur le Kiddouch, récité le vendredi soir, qui célèbre pourtant la Création du monde.

Entre la lampe de Hanoucca et le Kiddouch de Chabbat, le choix est épineux, même pour Rabba. Les commentateurs ont du mal à le suivre lorsqu’il finit par préférer Hanoucca « en raison de la célébration du miracle». Pourquoi? Le Kiddouch ne nous ancrc-t-il pas dans le projet du Créateur? S’émouvoir du miracle de la naissance de la vie, de l’émergence de la conscience et de la responsabilité que constitue, pour nous, la leçon de la Création, est capital ! Cependant, aucun prodige ne nous bouleverse autant que celui qui, tout petit, frappe à la porte de nos vies. La Création est le miracle de tous. Fort bien. Mais que le peuple juif qui, tant de fois, risquant d’être anéanti, poussé à bout de souffle, ait su, à chaque fois, garder espérance et s’inscrire dans la résilience, pour finalement briller de mille feux, telle la fiole d’huile qui refusa de s’épuiser, prouve que la lumière primordiale de la Création émet encore de lointains rayons. En nos coeurs, en nos âmes, en notre esprit, chaque fois que l’épreuve frappe. Pour s’y éclairer, il faut défaire toute honte tapie dans l’ombre, et renouer avec la flamme étincelante que nous portons en nous. Voilà pourquoi les bougies de Hanoucca se placent, la nuit tombée, à la porte ou à la fenêtre. Défiant l’obscur, elles font ressurgir la lumière première.

C’est que la petite lumière qui baigne notre habitation, ici et maintenant, est plus précieuse que le surgissement tout-puissant de la lumière divine, au plus lointain passé. Celle-ci est un souvenir, celle-là est vivante. Il nous faut d’abord apprendre à observer le monde à la lueur du présent, même si l’on désire aussi s’éclairer d’une tradition nourrie.


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