Edmond Fleg, une parole pour notre époque troublée
Contributions
Publié le 6 juillet 2024
par Ben LANDAU (Times of Israël)
Edmond Fleg, Nous de l’Espérance, Paris, Masque d’Or, 1948. Couverture.
Qui connaît encore Edmond Fleg? Si vous êtes à Paris, et que vous allez sur l’Ile Saint-Louis, au n°1 du Quai aux fleurs, vous verrez la plaque commémorative annonçant qu’il a vécu là, voisin de Vladimir Jankélévitch, et qu’il était « poète, dramaturge, romancier ».
Tout cela est vrai, et lui a valu une renommée qui explique la plaque. Mais ceux des Juifs qui se souviennent de Fleg, plus que ces trois qualificatifs, voient en lui un prophète. Oh, pas un illuminé qui court les rues de la ville en annonçant le contenu de ses visions. Mais quelqu’un qui avait une hauteur de vue, qui lui a fait distinguer clairement bien des choses, longtemps avant la plupart des gens.
Il a été, par exemple, l’un des rares Juifs Français à tirer la conclusion sioniste de l’affaire Dreyfus. Il a surtout été le concepteur et l’initiateur de ce qu’il est convenu d’appeler l’École de Paris de pensée juive, en fondant les Colloques des Intellectuels Juifs de langue française, rapidement devenus une institution.
La richesse intellectuelle et la vivacité du Judaïsme en France dans la deuxième moitié du 20e siècle est le résultat de cette activité, que Fleg a pensée et mise en place. Il en a même été le premier intervenant, insufflant par là une inspiration et une direction
En relisant Fleg, ces jours-ci, je ne peux pas m’empêcher de penser à la situation actuelle. Il y a tant d’injustices dans l’ « Israël bashing » actuel ! Comment l’opinion publique en Europe ou aux États-Unis peut-elle à ce point voir la situation actuelle comme étant la responsabilité unilatérale d’Israël ? Pourquoi tant de gens soutiennent une organisation terroriste dont les valeurs sont radicalement opposées à celles de nos démocraties libérales ? Et comment la réaction à cet aveuglement sélectif se résume à une régression vers l’extrême-droite ?
Quelques mots de Fleg permettent d’analyser la situation. Il s’agit d’un jugement qu’il émet dans un livre paru en 1948, à un moment où on pourrait croire qu’enfin le monde va être pacifié, après Auschwitz, et après Hiroshima :
« Mais si, aujourd’hui, après ce que j’ai vu, je rabâche encore cette rengaine hébraïque, c’est que je suis gâteux depuis Abraham, et que je le resterai jusqu’au Jugement dernier !
Je le savais, pourtant, que ces nations repues, qui se prétendent vertueuses, nomment vertu la digestion de leurs anciens crimes. Leur amour de la paix n’est qu’une fatigue : leur goût des libertés, qu’un luxe avant la mort. Toutes ont commencé à la manière des autres, par l’oppression et le massacre : elles vont finir comme elles ont commencé. »
Quelle actualité! Quelle vision! Ça fait froid dans le dos, de voir que ce qu’il écrit il y a 75 ans a encore cours, et peut-être même plus que jamais. Il peut être utile de se rappeler que ces quelques mots sont publiés dans le livre qui porte le slogan ultime d’Edmond Fleg, ce slogan qui est le fond du message juif pour le même Fleg : “Nous, de l’espérance”.