Bérénice, reine de Judée au 1ᵉʳ siècle
Contributions
Publié le 2 octobre 2024
par Eva Naccache (NABATIM.INFO)
Il était une fois… un roi de vingt ans, très amoureux de Marie Mancini. Pas jolie selon les critères de l’époque mais vive, gaie, brillante, elle va initier Louis XIV à l’esprit des arts. Il admire sa culture ; elle sera son Pygmalion ; Quand le Roi envisage de l’épouser, la Reine-mère et Mazarin, parrain du souverain (oncle de Marie) s’affolent. Un mariage avec l’Infante d’Espagne est prévu pour sceller la paix entre les deux pays.
Douloureusement… la raison d’État l’emporte. Lors des adieux, on cite la célèbre phrase :
« Vous êtes Roi, vous m’aimez et je pars »
À la Cour, il faut glorifier le sacrifice royal ; on cherche des antécédents illustres. César et Cléopâtre, ce n’est pas un très bon exemple ! L’Ancien Testament propose une situation équivalente : l’amour impossible entre la Princesse de Judée Bérénice et le futur Empereur romain Titus. On en peint une illustration dans le salon de Vénus au Château de Versailles.
Racine va écrire la célèbre pièce « Titus » et Corneille « Tite et Bérénice ». C’est ainsi que l’histoire des amours contrariées de cette reine est arrivée jusqu’à nous…
Bérénice princesse juive
Elle est née en l’an 28 de notre ère. Arrière-petite-fille de Hérode le Grand ; fille du roi de Judée Agrippa 1ᵉʳ, elle descend à la fois de la dynastie hérodienne et hasmonéenne. Elle a été élevée dans une cour hellénisée, ce qui explique son prénom… C’est aussi une cour orientale pour l’atmosphère et la diplomatie : atmosphère de ruse, de dissimulation et de violence, etc. Elle apprend et se forge un caractère bien trempé ; mentalement et politiquement.
Nous n’avons pas de portrait d’elle, les auteurs (dont Flavius Joseph) la disent belle et cultivée. Très jeune, treize ou quatorze ans, elle est mariée à un riche marchand en Égypte : Marcus Alexandre, frère du Procurateur de Judée Tibère Alexandre, protégé de Néron. Les deux frères sont les neveux du fameux philosophe Philon d’Alexandrie dit Philon le juif.
Alexandrie est une capitale culturelle et vivante.
Cette ville est célèbre pour sa fameuse bibliothèque, la plus importante de l’époque possède plus de 40 000 volumes. Certains disent 100 000 ; des papyrus, copiés à la main, d’une valeur inestimable, rassemblant une grande partie du savoir connu. Bérénice y séjourne et vraisemblablement s’y épanouit dans une ambiance intellectuelle. Alexandrie compte une diaspora juive nombreuse. Deux des cinq quartiers entourant le palais royal abritent des juifs. On y parle hébreu.
Déjà en –250, Alexandrie abrite une élite intellectuelle juive.
Ptolémée II, Pharaon plus érudit que guerrier, veut comprendre les peuples qu’il domine. Cette communauté juive est capable de traduire le Pentateuque en grec.
Il va choisir six personnes dans chacune des douze tribus d’où « la Septante. » (Nom donné par Flavius Joseph). Eléazar, grand sacrificateur à Jérusalem, donne son autorisation à condition que tous les juifs emmenés en esclavage par Ptolémée Iᵉʳ soient affranchis.
Bérénice devenue veuve, va quitter Alexandrie. Elle est rapidement remariée à un oncle, frère de son père, Hérode, Roi de Chalcis, (contrée au sud de l’actuelle Syrie). Elle aura deux fils ; Hyrcam et Bérénicien. En 48, décès de cet époux. En 54, elle convole à nouveau, avec Marcus Polemo II Roi de Cilicie (territoire au sud de l’actuelle Cappadoce). Il apprécie sa beauté et sa fortune ; il va jusqu’à se convertir au judaïsme. Mais le mariage sera de courte durée, elle retourne assez rapidement à Jérusalem auprès de son frère devenu le Roi Agrippa II. Elle y fait fonction de Reine pendant une trentaine d’années. Bérénice est mise en avant car son frère veut profiter de sa popularité. Ceci est confirmé, entre autres, par une stèle, retrouvée à Beyrouth, la présentant auprès du Roi venu inaugurer un monument public.
Les textes chrétiens rapportent qu’elle assiste en grande pompe avec le Roi, son frère, au procès de Saul de Tarse, Saint-Paul. Elle aurait même participé à la délibération conduisant au jugement. (fait rare dans la tradition judéo-romaine) cela marque bien son importance à la Cour.
Selon leur habitude, les romains font gouverner la Province « Judaïca » par des satrapes romanisés, mal acceptés par la population locale. C’était le cas de Hérode le Grand et d’Agrippa I°. Les pharisiens pactisent avec l’ennemi mais, dans le peuple « les Zélotes » organisent la résistance et réussissent à créer un sursaut national.
La guerre des Juifs
En 66, on rejette les sacrifices païens, faits en l’honneur de l’Empereur devant la synagogue de Césarée. A Jérusalem, Ananias, fils d’Eleazar refuse de continuer le sacrifice quotidien pour l’Empereur. C’est la révolte des juifs.
« Casus belli » Le Général Vespasien est envoyé pour rétablir l’ordre. Il est accompagné par son fils Titus, secondé par le Roi Agrippa II. Bérénice a dû rencontrer Titus lorsqu’il était en Galilée, entre 66 et 67. Il a trente ans, elle 40 ; coup de foudre ? Pour Tacite, Bérénice est « à la fleur de l’age et de la beauté. » Suétone écrira sur « la célèbre passion de Titus pour Bérénice. »
Vespasien pacifie sans nuances. La répression est terrible. Bérénice envoie ses officiers supplier le Procurateur de Judée Florus de cesser les massacres. Inutilement. Elle se présente elle-même, pieds nus, en suppliante à l’audience de Florus, risquant sa vie, car les soldats romains continuent leurs massacres. Rien n’y fait. Judée et Samarie où les Zélotes ont eu des victoires éphémères sont reconquises. Les combattants juifs se réfugient à Jérusalem.
Il existe alors trois factions : les zélotes commandés par Eléazar Ben Simon, chef de la police du Temple et fils d’Ananias, grand prêtre, réfugiés dans la cour du Temple. Simon Bagiora et ses partisans tiennent la ville haute et une partie de la ville basse.
Jean de Gischala tient le Mont du Temple.
Tacite écrit : « Ce n’était entre eux que combats, trahison, incendies. »
Judée et Samarie mises au pas, Vespasien installe le siège devant Jérusalem
Et… Néron se suicide.
Le général envoie son fils à Rome saluer le nouvel Empereur. En route, on apprend la mort de Galba. Titus n’ira pas non plus saluer Othon l’empereur suivant, il revient à Césarée. Les méchants pensent qu’il veut retrouver Bérénice. Suétone, écrivain latin nous parle de « la passion de Titus pour Bérénice »
À la mort du troisième Empereur Vitellius, (nous sommes dans l’année des trois empereurs) Les légions de l’armée romaine au Moyen-Orient choisissent Vespasien comme Empereur. L’Impérator part pour Rome laissant le commandement à son fils Titus assisté par Tibère Alexandre qui a soutenu Vespasien dans sa quête du pouvoir. Le siège de Jérusalem commence pour la Pâque 70. Les forces en présences sont disproportionnées :
23 000 hommes côté juif ; Titus dispose d’une armée de 24 000 hommes, nombre doublé par un recrutement local, plus 5000 hommes des sections d’Alexandrie et de l’Euphrate. Soit plus de 55 000 soldats contre 23 400 juifs. Comme c’est Pessah, on autorise les pèlerins à entrer dans le Temple ; Jean de Gischala infiltre des hommes qui vont éliminer Eléazar.
Titus fait araser une plate-forme en face de la tour Antonia et installe des catapultes ainsi que sur le Mont Scopus et le Mont des Oliviers. Le siège entraîne la famine, on en arrive à manger des ceintures, des sandales et même du foin. À plusieurs reprises, Titus enverra Flavius Joseph pour des négociations ; en vain.
Le 25 Mai la première enceinte est franchie ; le 30 Mai le deuxième rempart est abattu. Malgré leur extrême faiblesse les Hiérosolomitains infligent des pertes sévères aux romains.
Le 30 juillet, importante percée ennemie ; les Romains se trouvent avec surprise, face à un nouveau rempart, fait de bois et de terre, construit en toute hâte. La résistance juive ne faiblit pas. Dans les derniers jours d’août, il y a encore des combats acharnés.
Avant la chute de Jérusalem, Titus aurait réuni un cabinet de crise et déclaré, en parlant du Temple :
« je ne détruirai pas un si bel édifice ! »
Affirmation à prendre avec prudence. La guerre des juifs ne se termine pas après la chute de Jérusalem ; la résistance se réfugie à Massada. Titus laissera piller le Temple sans oublier de se servir. Le triomphe du à « l’impérator » le général victorieux, lui est réservé à Rome.
Fait rare un des arcs de triomphe édifiés en bois pour l’occasion sera pérennisé en pierres montrant les objets volés au Temple :
– le grand chandelier d’or,
– la table des pains de propositions, etc.
Le travail de sculpture est particulièrement raffiné, les têtes des chevaux tirant le quadrige de Titus donnent une grande profondeur à cette scène dont la perspective est remarquable…
À chaque élection d’un nouveau Pape, le représentant de la communauté juive devait se tenir là et présenter un Pentateuque au Saint Père.
En 75, Bérénice rejoint Titus à Rome. Il envisagerait de l’épouser.
D’ailleurs, Elle n’a pas figuré dans son triomphe.
Vespasien décède, Titus devient empereur ; il ne peut pas épouser une barbare. En 79, elle repartira à la cour de son frère ; victime de la raison d’État.
Bérénice princesse juive, mariée trois fois politiquement, aura voyagé vers l’Égypte, la Grèce et Rome. Reine à la cour son frère Elle a vécu toute la guerre contre les Romains et assisté à la destruction du Temple.
Connaîtrions-nous son histoire, sans Louis XIV, ses sentiments pour Marie Mancini, Racine, Corneille et un angle peu lisible d’un plafond du salon de Vénus à Versailles ? EN♦