41e édition du Festival du film de Jérusalem : « une leçon d’intelligence destinée au monde”
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Publié le 29 juin 2024
par Valérie Abecassis (Tribune juive)
La programmation est un enchantement. Un pur condensé de tout ce qui agite la société israélienne, un concentré de folie, de rébellion, de transgression, de tolérance, d’ouverture et d’amour.
Il y a des rendez-vous ciné en Israël qui font chaud au cœur parce qu’ils sont le signe d’une régularité du calendrier, une cadence harmonieuse si vous préférez, qui nous rapproche de la vie normale d’avant. Depuis le 7 octobre, n’importe quel repère qui se pointe à l’horizon culture est une bouffée d’oxygène et le festival du film qui a lieu chaque juillet dans la merveilleuse Piscine du Sultan de la cinémathèque de Jérusalem en est un de poids : c’est la 41e édition.
Évidemment en ces temps de guerre, la première chose qu’on lui souhaite c’est d’avoir lieu (on se souvient en 2014 de son édition bousculée par les roquettes et la mobilisation d’un grand nombre des réalisateurs qui prenant parti pour Gaza demandaient à ce que le festival soit annulé). Mais s’il a lieu et il aura lieu car il faut être optimiste désormais, la programmation est un enchantement. Un pur condensé de tout ce qui agite la société israélienne, un concentré de folie, de rébellion, de transgression, de tolérance, d’ouverture et d’amour. Essentiellement d’amour du cinéma. Cette 41ème édition comprend comme chaque année des films, des docs, des courts métrages en compétition internationale et nationale, des prix sont remis et même de l’argent. Et en ces temps de récession où chaque israélien fait des efforts, savoir que 1 million de shekels sera distribué aux gagnants tous palmarès confondus donne du baume au cœur, comme si tout était normal, comme si on croulait sous l’argent non essentiel.
On reviendra bien sûr sur la programmation générale, mais pour l’heure arrêtons-nous sur la sélection israélienne et regardons la avec les yeux d’un observateur étranger à Israël, avec les yeux d’un ignorant de Columbia, de Sciences Po, de la CPI ou tout simplement de la rue mondiale qui accuse Israël de tous les maux et n’y connait rien.
Il y aura cette année entre autres le film de Yossef Abu Madian titré “Aid”, un film consacré à un crime sexuel dans le monde bédouin. Il y aura “Ni le jour, ni la nuit” de Pinhas Veuillet, l’histoire de juifs orientaux français revenus à la religion, immigrés en Israël et en butte au racisme entre Yeshiva ashkénaze et sépharade pour les études de leur religieux de fils.
Sur les écrans également, le doc “Le gouverneur” de Daniel Elpeleg, elle revient sur le job de son grand-père à l’établissement du pays, dans l’administration militaire de contrôle des citoyens israéliens arabes. Il n’y a pas mieux que les Israéliens eux-mêmes pour juger leur pays et leur histoire.
Au festival de Jerusalem, le fameux observateur ignare pourra voir le doc “Tabou” de Shauli Melamed consacré à Amos Gutman premier réalisateur du cinéma queer israélien (mort du sida), il y verra aussi “Des chiens et des hommes” l’histoire d’une jeune fille qui après le 7 octobre retourne à Nir Oz chercher son chien. Un film signé Dany Rosenberg à qui l’on doit “Le Déserteur”.
Et si après cela la société israélienne n’est toujours pas assez complexe et démocratique pour ce critique incompétent de l’état Hébreu, il pourra s’en remettre une petite couche et assister (s’il entre dans le pays) à la projection de “De Haan” de Zvi Landsman, l’histoire de Jacob Israël de Haan, écrivain juif néerlandais, assassiné à Jérusalem par l’organisation sioniste Haganah en raison de ses activités politiques antisionistes, et ses contacts avec les dirigeants arabes, mais aussi un gay radical vénéré par certains ultra-religieux de Mea Shearim à Jérusalem.
En recevant cette semaine la programmation israélienne de ce festival du film de Jérusalem, on s’est mis à rêver. Et si cette explosion de thèmes abordés au cinéma dans la plus totale liberté, dans la plus totale expression, dédiés aux hommes et aux femmes de gauche, de droite, religieux, laïcs, gays, hétéros, Arabes, Bédouins ou Palestiniens était une leçon de normalité israélienne destinée au monde ? Et si elle permettait que le monde soit enfin éclairé, comme au cinéma.
Du 18 au 27 juillet cinémathèque de Jérusalem